Permettre à l’autre d’être lui-même
Conférence de Philippe Mérieu, le 28 sept. 2013
« Nous avons besoin d’une éducation qui permette aux enfants de décélerer et d’apprendre à penser. Les parents, le tissu associatif et culturel, l’école doivent prendre la mesure de l’enjeu. »
Transcription d’un passage à 29m44s
L’éducation a toujours eu et a encore plus aujourd’hui comme objectif d’aider à l’émergence d’un sujet.
D’un sujet que nous ne fabriquons pas, mais que nous contribuons à faire émerger : un être humain qui assume sa part de contingence.
Ce qui n’est pas facile aujourd’hui. Nous sommes nés ici et pas ailleurs avec des yeux bleus et des cheveux bruns. Nous avons ce que le philosophe Paul Ricoeur appelle un idem, qui est sur notre carte d’identité et sur lequel nous n’avons pas de pouvoir. Cette contingence là, dans un monde où on nous dit que nous avons pouvoir sur tout est de plus en plus difficile à assumer. C’est bien la raison pour laquelle nous voulons en permanence la récuser.
Mais le sujet ne peut pas récuser sa part de contingence, au risque de se récuser lui-même comme sujet, au risque d’abolir le substrat même à partir duquel il peut se développer, au risque du suicide et de l’auto-destruction.
Qui veut abolir sa propre contingence ne peut que s’abolir tout simplement.
Un sujet doit assumer sa part de contingence, mais simultanément, c’est ça qui est compliqué, un sujet doit assumer son imprescriptible liberté.
Ce que le philosophe Paul Ricoeur appelle notre ipse, ce en quoi nous pouvons être différents, oser notre différence, oser être nous-même.
Nous-même qui ne préexiste pas, nous même que nous projetons dans un futur, nous-même que nous construisons.
Alors pour cela, pour articuler notre idem et notre ipse, il faut passer par la capacité à penser par soi-même.
La culture relie l’intime et l’universel
Transcription de la conférence de Philippe Mérieu du 28 sept. 2013 à 46m44s
Le symbolique va s’inscrire dans une culture que l’on s’approprie, dans laquelle progressivement on s’inscrit, et qui permet de s’exprimer.
Cette culture, elle va exister aux yeux de l’enfant à travers les contes et légendes, à travers les histoires que nous allons lui raconter.
Il faut raconter des histoires aux enfants, sans cesse et toujours, parce que dans les histoires ils entendent parler d’eux sans que pour autant on les viole dans leur intimité.
Tous les enfants ont peur que leurs parents les abandonnent.
Alors quand on est institutrice ou instituteur d’école maternelle, on peut toujours dire à la petite Marie : “Tu n’as pas peur que ta maman ne vienne pas te chercher à 4 heures et demie ?”… Mais c’est un peu sadique.
Ou alors, on peut raconter le petit poucet. C’est mieux.
Parce que dans le petit poucet, vous parlez à l’enfant de ce qui le travaille, qui l’inquiète, c’est à dire de sa peur d’être abandonné. Mais vous lui en parlez de telle manière qu’il se reconnait dans cette histoire, qu’il est relié à travers cette histoire à toute série d’autres enfants et à toute une culture, et que ce qu’il vit à titre personnel devient saisissable dans un discours symbolique, collectif, qui va peut-être, parfois, lui permettre de mettre sa peur à distance.
Alors oui, il faut faire entrer les enfants dans cette culture là, parce que la culture, je la définis volontiers ainsi : c’est ce qui relie ce que chacun a de plus intime avec ce qu’il y a de plus universel.
Qu’est-ce que nous avons de plus intime si ce n’est nos peurs, nos angoisses, nos désirs ?
Qu’est-ce qu’il y a de plus universel si ce n’est le Mahabarata dont parlait Jean-Claude Carrière cet après-midi ?
Et qu’est-ce que transmettre cette culture si ce n’est offrir cette reliance comme dit Edgar Morin, entre ce que je ressens, et ce qui a été porté à un degré de perfection dans la forme, qui fait que je m’y retrouve et que d’une certaine manière la catharsis va pouvoir jouer là à fond.
C’est cela transmettre, et c’est cela inscrire nos enfants dans le symbolique.
Nos enfants ont besoin du symbolique, parce que le symbolique ne fait pas mal, parce que le symbolique développe l’imaginaire, parce que le symbolique leur permet de vagabonder par la pensée.